La mention Conservation-Restauration

La conservation-restauration en tant qu’activité est souvent conçue par les néophytes comme un champ homogène ayant pour objectif essentiel de prolonger l’existence des biens culturels dans le futur, de recouvrer leur apparence originelle ou encore, de faire revenir un objet à son état originel. En réalité et pour des raisons à la fois historiques et idéologiques, il existe différentes démarches de conservation et de restauration qui sont à l’œuvre en fonction de diverses théories, types de biens culturels (mobiliers, immobiliers par exemple), politiques institutionnelles, géographies, ainsi que cultures qui les ont produites. Or la profession de conservateur–restaurateur est désormais précisément définie par différentes chartes éthiques et codes déontologiques sur le plan national comme international depuis un peu plus de trente ans.

A ce jour, il existe en France quatre formations publiques à la conservation-restauration de biens culturels qui relèvent de l’enseignement supérieur dont celle de l’École supérieure d’art d’Avignon. Elles délivrent pour l’une (CRBC Paris I-Sorbonne), un master, et pour les autres (INP et TALM-Tours) à l’instar de l’ESAA, un diplôme d’état au grade de master. Ces diplômes de fin de deuxième cycle (de Niveau I à BAC +5) sont assortis d’une habilitation inscrite dans le Code du Patrimoine français Livre IV, titre 5, chapitre 2, section 3 qui autorise leurs titulaires à prendre en charge et traiter des biens culturels conservés dans les Musées de France ou protégés au titre des Monuments Historiques.

Les enjeux de la conservation- restauration à l’ESAA

L’évolution de la formation à la conservation-restauration de l’ESAA et son ancrage dans un établissement d’enseignement supérieur artistique ont déterminé une identité propre.

Depuis plus de quinze ans et contrairement aux autres formations similaires, celle de l’ESAA a renoncé à dispenser un enseignement visant expressément l’une des spécialisations attachées à un genre artistique, un médium ou encore un matériau qui engage une maîtrise ou une expertise technique et technologique. Ce choix trouve sa justification au contact des productions relevant de l’art contemporain et des artefacts ethnographiques. À les comparer, un certain nombre de parallèles peut être établi entre ces productions : leur caractère éphémère, leur composition matérielle très large, une dimension performative et/ou interactive, leur attachement à un in situ, un contexte de ritualisation hic et nunc, etc. En effet, leur étude incite à les considérer pour la plupart comme affranchies de l’aspiration à la forme préposée, du virtuosisme ou du technicisme, et souvent pourvues d’une nature hybride, composite et transgenre. Hormis leur appartenance catégorielle quelle qu’elle soit, ces objets sont toujours appréhendés en leurs situations singulières et font émerger des questionnements en point de départ de l’enseignement et de la recherche.

Si l’on examine la conservation-restauration dans une perspective historique et épistémologique, il apparaît que la prévalence de l’attention accordée à la constitution physique des biens culturels est corrélative de la persistance de celle des sciences exactes, même si aujourd’hui l’approche critique nourrie par les sciences humaines et sociales n’est plus à discuter.

À l’ESAA, la conservation-restauration n’est pas conçue selon une primauté accordée aux sciences exactes sous l’emprise d’une vision scientiste, comme le laisse entendre la figure du conservateur- restaurateur en blouse blanche, mais à partir de l’interaction enquête-pratique manuelle, qui est la pierre angulaire d’une pédagogie de la transmission culturelle.

L’exercice de la conservation-restauration consiste ainsi en une enquête rigoureuse à la fois matérielle et socio-historique, subordonnée à une réflexion critique susceptible de corréler les dimensions plurielles de tout artefact culturel pour décider et assurer ensuite la réalisation de traitements appropriés en vertu d’une déontologie dont les principes sont éminemment logiques et ses référents d’ordre scientifique, technologique et technique.

En plus des apports donnés par la sociologie et l’histoire, les méthodes de l’enquête de type pragmatique et documentaire de l’anthropologie telle que l’observation participante ou l’approche holistique peuvent être mobilisées pour l’étude d’œuvres d’art contemporain. Cette approche permet de révéler ce que les biens culturels doivent

à des conditions sociales ou historiques indissociables de leur contexte de production et/ou de réception ainsi qu’à des conditions situées de fonctionnement ou d’usage de ce bien dans des temporalités et spatialités différentes.

Cette distance épistémologique et interdisciplinaire permet à l’étudiant de conservation-restauration de questionner et d’analyser les informations récoltées dans la perspective d’une proposition de son action future. Il ne doit pas prendre pour acquis

les idées et conclusions produites par des prédécesseurs, ni considérer les catégories ordinaires auxquelles les biens culturels sont rapportés comme prémisses, tout en étant capable de remettre en question ce qu’il croit savoir de son sujet.

L’ESAA à l’origine d’une ingénierie de la conservation- restauration des biens culturels

Avec la multiplication de lieux dédiés à l’exposition de l’art contemporain, les nouveaux usages du patrimoine et l’engouement pour la découverte de la diversité culturelle, la conservation-restauration est confrontée à de nouveaux défis. Les œuvres contemporaines qu’elles soient installées, performatives ou interactives ont pris une place grandissante au sein des musées, dans les collections publiques et privées. On a vu apparaître de plus en plus d’œuvres polymorphes dont les compositions et technologies hybrides et les formes intermédiales ou transgenres suscitent des questionnements et réflexions quant à leur réitération.

C’est pourquoi, depuis plus de dix ans, la formation de l’ESAA est la seule en France à ne plus viser une spécialisation par médium, matériau, et/ou genre artistique, afin de mettre en lumière l’enseignement d’une ingénierie de la conservation-restauration des biens culturels comme un champ de la connaissance spécifique et irremplaçable au croisement de sciences exactes et de sciences humaines et sociales.

L’ingénierie de la conservation-restauration des biens culturels désigne un ensemble de fonctions qui s’étend de la réalisation d’enquêtes, d’études, de diagnostics, de la conception de projets globaux, de traitements spécifiques, techniques ou esthétiques ; à l’acquisition et la vérification d’équipement et fournitures adéquats pour la conduite de leur mise en œuvre jusqu’au contrôle de résultats et enfin à la formulation d’un discours argumenté propre à cette ingénierie.

Cette orientation a trouvé aujourd’hui un écho favorable à l’échelon français. À la suite de la diffusion en 2016 d’un rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) : « Les Conséquences de l’inscription des professionnels de la restauration du patrimoine dans la liste des métiers d’art », le ministère de la Culture a enjoint un chargé de mission, Pascal Liévaux de créer « la Conférence des formations publiques en conservation-restauration des biens culturels », qui accueille les quatre formations publiques à la conservation-restauration (INP, Sorbonne, École supérieure d’art et de design TALM-Tours et École supérieure d’art d’Avignon) afin que les acteurs de cet enseignement réfléchissent ensemble à la situation de la discipline en France, à son enseignement, à la professionnalisation des diplômés et à la mutualisation de leurs forces et ressources.

L’imbroglio sémantique qui sème la confusion et des suspicions corporatistes entre restaurateurs, conservateurs et conservateur-restaurateurs dans le champ du patrimoine depuis plus de trente ans en France a conduit les directeurs des quatre formations à solliciter conjointement auprès des pouvoirs publics compétents, la création du titre professionnel d’ingénieur(e) en conservation-restauration de biens culturels conféré à chacun de leurs diplômé(e)s valant grade de master.

Dans le même temps, la Conférence a aussi engagé les référentiels de formation et de diplôme afin d’en uniformiser les constituants pour une meilleure lisibilité. Il a d’ores et déjà été envisagé l’organisation de colloques ou séminaires communs afin d’entretenir une dynamique toute jeune mais qui s’avère fructueuse.