Session 2019 des soutenances du DNSEP / Conservation-Restauration
En cette fin d’année scolaire 2018-19,les deux candidates à l’obtention du DNSEP option art, mention conservation-restauration, au grade de Master, ont soutenu leurs travaux ayant conduit, dans un premier temps à la production d’un mémoire de recherche proprement dit, ensuite, à la proposition d’un projet de conservation-restauration. Elles ont toutes deux obtenu ledit diplôme avec les félicitations du Jury.
Les biens culturels d’où ont émergé questionnements et révélations, ont été notamment pensés comme autant d’objets en crise, les institutions qui en ont la charge n’étant pas en mesure d’en assurer la pérennité de manière satisfaisante. Or c’est précisément ce dysfonctionnement qui requiert la démarche du conservateur-restaurateur. Afin de proposer des solutions idoines de traitements relevant de la conservation préventive, de la conservation curative voire de la restauration proprement dite, celui-ci va s’atteler à une enquête visant à identifier une matérialité qui ne se limite plus seulement à des caractéristiques physiques constituantes, essentielles, selon une acception ancienne. Depuis l’apport des material studies dans le courant des années 90, ces objets sont aussi à penser comme dotés d’une agentivité relationnelle propre aux artefacts culturels. La prise en compte de ce tournant matériel permet au conservateur-restaurateur de formuler des préconisations et propositions de traitements ajustées à leurs qualités, valeurs, statut et contexte de transmission au public.
Enora THEILLERE
Enora Theillère s’est appuyée sur la sélection d’un corpus de huit idgharîn (voiles de mariage) provenant du patrimoine amazigh (berbère) et prélevés dans une collection plus importante pour mener une réflexion sur la conservation de ces voiles berbères originaires de l’Anti-Atlas En les reconsidérant aujourd’hui selon un statut patrimonial établi au sein du musée berbère du jardin Majorelle à Marrakech, elle a invoqué des conceptions concurrentes de l’authenticité pour montrer leur caractère déterminant. Malgré les efforts déployés, les doutes exprimés à propos de celle de ces voiles sont persistants, au point qu’ils ont fait naître l’hypothèse paradoxale d’une pierre d’achoppement à considérer comme une caractéristique valorisante de cette collection. Cette question a suscité l’examen de conceptions plurielles de l’authenticité, qui sont relayées par les institutions patrimoniales, les collectionneurs et les Chorfas eux-mêmes. Chacun de ces points de vue tend à figer en effet une conception de l’authenticité de l’adghar. Si bien que le conservateur-restaurateur, garant de l’intégrité de ces objets, doit être à même de concilier ces points de vues au-delà de leur divergence. Cette perspective revient à adopter à propos des idgharîn, une considération pluraliste, ouverte, qui consiste à modaliser le constat d’état et les propositions de traitement selon des manières ou formes d’appréciation contrastées auxquelles recourent les réceptions ou attentes des différents publics.
Léa VOISIN
Léa Voisin a mobilisé les apports de l’enquête ethnographique afin de penser avec une nécessaire distance critique les conditions de conservation-restauration de deux huipiles de cabeza . Ces coiffes mexicaines issues de la culture zapotèque de l’état d’Oaxaca. sont prises en compte dans leurs situation et conditions actuelles de conservation au sein des collections du musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris. Ces coiffes posent un problème d’identification qui requiert un travail d’enquête, transposé et adapté des méthodes de l’ethnographie. Menée en concertation avec leurs responsables scientifiques, cette forme d’investigation a permis de recueillir des informations liées aux pratiques et aux traditions de la communauté zapotèque mais aussi de caractériser les procédés de conservation de ces coiffes au sein d’une institution publique mexicaine. En identifiant les propriétés matérielles et culturelles liées à ces coiffes, ce travail justifie une proposition de traitement de conservation-restauration, basée sur la formulation d’un protocole qui fait place à des techniques coutumières de lavage, d’entretien et autres conditionnements que les femmes zapotèques exécutent très rigoureusement à l’égard des huipiles de cabeza et en traitements de conservation-restauration.
Dans le contexte actuel d’inflation du patrimoine qui rend plus saillante la question du domaine d’application de la conservation-restauration, chacune de ces études montre que, contrairement à une idée répandue, le champ d’application et de questionnement de la conservation-restauration ne se limite pas à une spécialité de médium, de matière ou de genre artistique, soit à une dimension seulement matérielle des artefacts, dans un sens restrictif de physicalité : l’inscription historique et culturelle des biens patrimoniaux engage aussi les conservateurs-restaurateurs à les envisager au regard d’une pluralité de mondes ou mondialité dont ils témoignent en tant que véritables acteurs impliqués dans les relations sociales et culturelles qui les animent, voire qu’ils ont déclenchées et entretenues.
Marc Maire, Gaspard Salatko, coordinateurs du II° cycle (Master) 06/2019.